J’ai un euphonium dans les tranchées
le cœur en quinte augmentée
j’ai un do d’accordéon
tenu par un souffle continu
j’ai le tambourin en touches nacrées
et une contrebasse à chaque silex
j’ai des mailloches à toutes les hanches
et des cymbales à chaque orteil
et tout ça sans lunettes, sans ceintures, sans bilboquet à la main gauche
tout ça près d’un mec grand comme un pin, sec aussi, avec des oreilles immenses comme les chapelles du coin et qui bouge pas
tandis que moi
ben ça continue
j’ai le ventre à contre-brassée
des tomes nichés dans chaque nichon,
des intros longue comme des fins
des trompettes dans les fallope
j’ai une salope dans les si graves et une putain dans les fa dièses
j’ai une princesse dans les sol dièses et une vierge un quart de ton plus bas
j’ai le basson à l’unisson qui se bonifie avec l’âge
et le violon qui me bas grésille
j’ai un frisson subit soudain, subodorée
(je sais pas ce que ça veut dire mais on s’en fout
je suis poétesse et j’emmerde les odeurs et les subordonnées)
j’ai les arpèges en ascension jusqu’au col du mont obiou
j’ai la mesure en trois parties avec la dernière plus petite et les deux autres qui font semblant d’être égales
alors qu’on le sait tous, en musique y a rien d’égalitaire, rien de paritaire, pas d’équité
que de l’éthique, du tortionnaire et voltaire peut bien chercher candide il ne le trouvera pas ici
ici y a de la sueur, de la sueur pour tout,
pour les étoiles, pour l’herbe sèche, les parasols, les lampadaires, les luminaires, les enceintes et les caissons, les fly-case, les delirium tremens, les bascules à pigeons, les escaliers en rond, les troufions, les arches en spirales, les vers luisants, les bouffettes, les skis, les bombyx, les bacchantes et puis c’est tout.
Point.
Et tout ça juste à côté d’un mec très grand et très fin avec des oreilles immenses comme les chapelles du coin. Et qui bouge pas.
Tu comprends ?
Je continue ?
Ok
J’ai le souci qui dépasse
le cliquetis qui dégouline
l’archet qui s’emballe
et les lèvres qui s’arriment
j’ai le 5/8 en perfusion
et les balais qui s’acharnent
les syllabes à l’oustal
et le basson qui bastonne comme un bastos dans la gueule
j’ai le plexus qui trigone et triomphe tout seul comme un con, comme un cornet qui crâne et réclame des crosnes du trièves fait maison
j’ai une table d’harmonie dans les entrailles
et des amis qui me pincent les cordes
j’ai tout le corps et le cœur et le sexe et l’index et le majeur et les mains et les cheveux et le cul et les seins qui sourient
qui se remplissent
et tout ça juste à côté d’un mec très grand et très fin avec des oreilles immenses comme les chapelles du coin et qui bouge pas
et c’est pas finit
parce que tout ça c’est tellement puissant que j’ai envie de crier de dire que c’est incroyable
que l’accordéon à déchirer les nuages
que la clarinette à crisser comme un jouet de récupération réhydraté
que ça m’a foutu le cou en grosse caisse
l’unisson dans les poumons
le souffle à l’octave
et le solo en 12/8
alors quand le thème s’installe
j’ai envie de me ruer sur les cymbales, de me rouler dans les tapis, de me mettre à danser dans les arbres et de crier merci merci merci parce que derrière tout ça
y a des ventres, des ancêtres, un monde, la terre, un espace, tout l’univers,
des chevaliers, des guerrières, des limonaires, des matelassiers,
y a un grand-père, une enfant petite comme une fleur de bouillon blanc,
y a tous les cultivateurs du coin, les moissonneuses, le torréfacteur, les bistrotiers et la seule source d’eau qui tiens, tu vois y a tout ça dans les notes et je voudrais hurler crier dire Oui oui ouiiii mais comme je peux pas crier ben j’écris évidemment
et tout ça juste à côté d’un mec très grand et très fin avec des oreilles immenses comme les chapelles du coin qui bouge pas,
ah, si, il bouge,
il se tourne vers moi et il me dit
« tu peux pas aller écrire plus loin, ton stylo il fait du bruit »
alors je m’arrête et je réponds
« à ben mince alors je savais pas que t’avais le bic à ce point. »
Et le mec me sourit.
Voilà, c’est tout.
Point
Texte : Murielle Holtz
Dessin : Léo Haag
Bonjour Murielle,
J’ai été touché par tes mots, rapportés par une amie alors que je courrais partout sur ce festival, sans prendre le temps de te rencontrer. Peut-être étais-ce toi qui est venue me saluer aux Sagnes, et qui a disparu quand j’avais tourné la tête à un moment où j’aurais souhaité être plus disponible.
Et si ce n’étais pas le cas, cela ne retirerait bien sur rien à la beauté de ton texte.
D’un grand flandrin aimant les bombyx (chut !)