LETTRE À MON FILS ET À LA GÉNÉRATION OREILLE FINE ET ŒIL PERÇANT

LETTRE À MON FILS & À LA GÉNÉRATION OREILLE FINE ET ŒIL PERÇANT
 
Toi mon gamin, mon enfant, mon fiston,
toi mon grand, mon plus grand que moi maintenant,
toi qui t’apprêtais à prendre ton élan
à découvrir de nouveaux horizons
 
Te voilà ici, coincé, parqué dans le salon,
en train de laver tes masques recyclables.
La voix de ta prof inonde l’appartement.
Ah oui, c’est vrai, t’es censé être en visio…
 
Toi l’ado à trois-quarts confiné,
qui n’a plus le droit de te démasquer
que dans la cour des fumeurs du lycée.
 
Toi qui me dis hier soir
« Vous avez bien profité,
mais nous, on est coincé »
 
Écoute-moi encore mon grand,
mon gamin, mon enfant, jeune adulte naissant
écoute moi un tout petit instant.
 
Ton adolescence sans fête, sans bises
sans tendresse et sans manifs
ce n’est pas de cela dont j’ai rêvé pour toi.
Qui en aurait rêvé ?
Et pourtant …
 
Aucune des minutes de ce confinement n’est perdue.
Aucune des secondes de ton adolescence n’est gâchée
Ton esprit s’aiguise, ta conscience politique s’affirme,
ton regard sur le monde se construit, patiemment.
 
Toi et tes copin·e·s vous grandissez masqué·e·s. Ok.
Mais vos yeux sont grands ouverts. Vous êtes donc la génération œil perçant.
Alors dis-moi, qu’observes-tu tout autour de toi, que vois-tu ?
Sais-tu distinguer en un clin d’œil un mensonge d’une promesse ?
un désir d’un espoir, un coup de sang d’un coup de gueule ?
 
Vos mots sont étouffés, vos bouches sont voilées. Ok.
Mais vos oreilles sont grandes ouvertes. Vous êtes la génération oreilles fines.
Alors dis-moi, est-ce que tu entends la musique du monde à venir ?
Est ce que tu perçois l’hymne d’un vent nouveau et le changement de tempo ?
 
Tu me réponds « le monde est foutu »
Oui, le futur tel que certaines l’avait rêvé est foutu.
Le futur consumériste et pollueur est foutu.
Et tant mieux. C’était un foutur comme dirai l’autre.
 
Tu me dis que tu t’ennuies,
que tu as du temps, beaucoup trop de temps.
Et bien vas-y, rempli-le de ce qui te plaît.
Tu réalises la chance que tu as ? Tu peux faire ce qui te plaît !
Alors vas-y fonce !
Démonte une fois, dix fois, cent fois
démonte et remonte l’ordi du salon
installe réinstalle et désinstalle linux
jusqu’à tout comprendre des logiciels libres.
 
Apprends à être libre.
 
Prends la liberté là où elle est, au fond de ton cœur
au creux du silence, à la cime de l’attente.
Étudies les grandes évolutions de l’histoire,
joue de la guitare, écris un bouquin
apprends l’arabe ou l’occitan,
fais un jardin, aide les voisins
engage-toi dans une asso
plante des peupliers
monte une récup de vélo
apprends à faire des pizza
apprends tout ce que tu peux.
 
De toutes les crises naissent les plus fabuleuses transformations
ton corps le sait et ton esprit aussi
Alors sois-en certain, de cette crise vous sortirez plus forts,
vaillants, téméraires et altruistes.
Comment pourrait-il en être autrement ?
 
Jeunes d’ici et maintenant
génération œil perçant et oreille fine
aujourd’hui est le début
aujourd’hui est le commencement.
 
Demain tape à votre porte
demain a besoin de vous.
Ce sont vos espoirs qui créent le monde
vos pas unis qui le féconde.
 
Alors allez-y, foncez !
Déployez vos idées et contaminez tout
de vos désirs les plus fous,
de vos plus belles aspirations.
Alors la colère deviendra courage
l’ennui deviendra sagesse
la solitude deviendra solidarité
l’individualisme deviendra collectif.
Comment pourrait-il en être autrement ?
 
Vivez, vivez deux fois plus fort
gavez-vous d’intensité
apprenez tout
riez de tout
et contentez vous de peu.
Bâtissez votre monde, rêvez-le, rêvez-le fort
alors il deviendra tel que vous le souhaitez.
Comment pourrait-il en être autrement ?
 
PS : Oui oui, j’arrive, je finis d’écrire et je viens goûter ta pizz.
PSS: Merci de m’avoir autorisé à mettre ce texte en ligne
PSSS : Mon gamin, mon adoré, mon grand garçon, je t’aime infiniment.
 
Texte : Murielle Holtz